Samedi 17 avril
Je comptais faire un billet sur le mouvement dans Salambo de Flaubert, mais j’ai entendu la conférence passionnante de l’écrivain Arno Bertina sur « la cavalcade » de Stendhal, de celles qui donnent immédiatement cette envie d’aller relire les livres de celui dont on parle. Aujourd’hui ce sera donc Stendhal.
Bien évidemment je suis particulièrement sensible à la fougue stendhalienne. Et comme je crois le comprendre en le lisant, car moi non plus (en bonne héritière de la modernité. Mais quand on y songe elle commence à dater, la modernité… disons en disciple de Laurence Sterne et amie de Diderot), je n’aime pas les livres parfaits, ceux qui donnent le sentiment d’être trop bien menés de bout en bout. Ce n’est nullement une décison de ma part. Il me semble que ce genre de données s’imposent pour des raisons qui pour l’essentiel nous échappent, mais ceux qui avancent par à-coups me paraissent souvent dire davantage, laisser quelque chose d’ouvert, et enfin peut-être, sceller un pacte plus fort avec le lecteur. Et c’est alors dans les moments où (ré)apparaît la vitalité qui soutient ces textes que je trouve mon véritable bonheur de lectrice. Sarga !
Concernant les fins de romans, il me semble qu’il n’y a que deux possibilités réellement viables pour l’écrivain :
– ou bien l’auteur écrit son texte en ayant en tête sa fin – ou plus exactement : parce qu’il a en tête sa fin qu’il considère comme un point d’orgue, l’aboutissement du livre. C’est vers ce lieu du dénouement qu’est alors tendue l’énergie qu’il mettra à écrire ce qui précède.
– ou bien, comme Stendhal dans la Chartreuse de Parme, il considère que l’essentiel est dit bien avant, n’est pas dupe et ne veut surtout tromper personne, par conséquent ne prend pas la peine de se plier aux conventions les plus élémentaires d’écriture (et la conférence montre bien comme cette manière de faire permet aussi à Stendhal de réinventer la langue). Il trouvera alors une pirouette plus ou moins habile pour achever l’oeuvre. À moins qu’il ne meure avant de l’avoir trouvée.
Entre les deux, il y a bien sûr la fin sobre et correcte. La fin qui conclut honorablement. Mais pour ma part, je ne veux pas de fin sobre, correcte et concluante. Je préfère que l’auteur me dise d’aller la chercher ailleurs. En moi par exemple.
Parfois lorsqu’on écrit, on peut aussi avoir de bonnes et précieuses surprises. Connaître quelques révélations à force de creuser le texte. À titre d’exemple, ce qui m’est arrivé récemment. Comme souvent, je me suis lancée dans l’écriture de mon dernier manuscrit sans avoir une idée très claire de la façon dont j’allais le terminer. Alors que j’approchais du terme et sentant une angoisse m’étreindre chaque jour un peu plus, j’ai fini par me poser pour de bon pour y réfléchir Pour choisir une fin. Au bout de deux heures, je commençais à désespérer sérieusement de trouver quelque chose de satisfaisant. Je commençais à somnoler d’ennui. Je m’apprêtais à m’assoupir pour de bon quand soudain, la dernière page s’est mise à se dérouler dans ma tête. À la phrase près. Je n’avais plus qu’à me mettre (immédiatement, avant de tout oublier !) devant mon ordinateur et retranscrire ce qui venait.
Ces moments sont rarissimes. D’ailleurs quand l’inspiration vient trop vite il vaut mieux s’en méfier : l’expérience m’a montré qu’elle est souvent emplie d’effets faciles. Mais là non, j’étais certaine de la justesse de ce qui arrivait. Après tous ces mois de travail, j’ai eu alors un drôle de sentiment. Celui que si j’avais écrit les 150 pages précédentes, c’était pour vivre ce moment. Pas pour la fin du texte, non, pas pour le texte ; mais pour ce moment de vie, l’expérience unique où l’on ne peut que regarder défiler des mots sans avoir rien à y redire. J’ignore si ce qu’ils disaient était bouleversant, juste ou même correct. Mais cette soudaine bouffée de puissance vécue dans un pli de conscience ne saurait être oubliée.
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