Jeudi 6 mai
Quand la vie prend forme dans un corps handicapé, que le feu brûle dans un ventre inerte, la puissance qui s’incarne alors le fait parfois de manière étrange, chaotique et pour tout dire poignante. Claudia Muffi est née atteinte d’un spina bifida qui lui paralyse la partie inférieure du corps. Or elle se consume. Se consume de désir. D’un désir insatiable puisque éternellement frustré. À vingt et un ans elle est encore vierge, aucun homme n’a voulu la toucher. Et ce qui la brûle, c’est ce désir des Danaïdes, qui fait dire à sa mère qu’elle est devenue une bête féroce. Elle la décrirait presque comme autrefois, dans un temps que l’on croyait révolu, alors qu’on désignait les jeunes filles comme possédées, avec le diable au corps, celles qui semblaient prêtes à toutes les perversions pour connaître les plaisirs de la chair. Pourtant, tandis qu’on apprend, au détour d’une conversation entre la mère et l’assistant de vie sexuelle qu’elle a elle-même engagé pour sa fille, quelle chasse acharnée mène Claudia sur les réseaux sociaux et les sites de rencontre pour perdre sa virginité, déjà nous n’y croyons pas vraiment. C’est trop tard, nous ne prêtons plus vraiment attention à ce qui se raconte alors. Et pour tout dire on s’en fout, de ce qu’elle peut bien faire. Car pendant l’heure précédente, Claudia n’est jamais apparue autrement que dans la plus grande nudité – dans tous les sens du terme. Elle s’est montrée telle qu’elle est et avec une sincérité totale. Claudia, on l’a vue sans fard, tantôt se maquillant ou se démaquillant d’ailleurs, mais en réalité la même, toujours, juste là sous nos yeux. Elle a raconté sans détours ses tentatives plus ou moins glorieuses et plus ou moins fructueuses pour trouver du plaisir ; et alors m’ont sauté au visage ses élans, ses bouffées d’émotion, ses petits cris frénétiques et ses spasmes dont il est impossible de dire s’ils exprimaient le bonheur ou la souffrance, tandis qu’elle partait rejoindre son assistant Marco. Et nul doute qu’avec ou sans lui et malgré la douleur de la séparation, cette fois sans ambiguïté, sur laquelle s’arrête le documentaire, les élans d’amour de Claudia et ses bouffées de vie se poursuivront. Sur sa figure s’inscriront d’autres spasmes, d’autres rictus incontrôlés, Claudia aura d’autres brusques mouvements des mains devant la bouche pour cacher l’émotion. Cette énergie tout à trac et qui lui sort par tous les pores, sa grande et belle vitalité dégingandée ne sont pas l’expression d’une bête féroce en manque de sexe, pas seulement mais bien plus. Elles sont ce qui reste d’un corps qui vient de vivre vingt ans de solitude.
Because of my Body, de Francesco Cannavà, 2019
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