Dimanche 25 juillet
Dans Le passé d’Asghar Farhadi, il y a cette scène où le père de Fouad veut le priver du cadeau que lui avait apporté Ahmad sous le prétexte que l’enfant était allé le prendre en cachette quelques heures plus tôt. Samir exige qu’il s’excuse à plusieurs reprises, et le faisant l’humilie. Depuis le début du film, le réalisateur disséminait des éléments rendant les adultes tous un peu antipathiques. Mais là c’était le summum, pensez donc : priver un enfant du cadeau qui l’attend. D’autant que le petit Fouad avec sa rage, sa petite voix et sa douleur est le seul personnage auquel il nous est véritablement donné de nous attacher. Mon parti était donc pris : Asghar Farhadi raconte l’histoire de gens mal-aimables, de là : on n’a pas envie d’être avec eux et de là : ils méritent leurs malheurs. Et puis je me suis arrêtée quelques instants. Force est de reconnaître : des moments comme ceux-là, où l’on est un peu nul avec ses enfants ; et aussi des moments où on l’est tout autant – mais en usant d’autres moyens – avec les adultes que l’on côtoie au quotidien, qui n’en connaît pas ?
Ces moments font partie de la vie. Dès lors qu’on s’installe dans des inter-relations d’ordre intime, on est voué à provoquer et subir de tels instants un peu minables où il faudra écraser l’autre. Certes pas l’écraser définitivement ni le mettre à terre pour de bon, mais réagir, se raconter qu’il ne s’agit de rien de plus, que c’est la situation qui impose de marquer le coup, de ne pas se laisser faire, ne pas laisser l’affront ou la faute se reproduire et pour cela, répliquer un peu plus fort que nécessaire. Sauf que ces moments-là se reproduiront immanquablement. Que l’on montre un visage ouvert et doux comme Ahmad ou beaucoup moins comme Marie et Samir, on finit toujours par basculer quelques instants dans la facilité mauvaise envers ses proches. De ce point de vue-là, l’intimité s’agite d’une personne à l’autre comme une boule de flipper. Pour opérer elle devient toujours légèrement hargneuse. Et dans ces conditions, si l’on doit s’identifier aux personnages du Passé, c’est – prouesse véritable du réalisateur – par cette perpétuelle intranquillité et qui constitue précisément ce qu’ils ont de moins glorieux.
Ainsi Asghar Farhadi place-t-il son (quasi) huis clos au coeur d’une tragédie sans coupable. Chacun y amène sa touche de nullité. Alors que le film avance, des éléments de vérité apparaissent, la tension monte, quelques étaux ici et là se resserrent. Certes, dans la vraie vie, la plupart du temps il n’y a pas de suicide au détergent. Pas d’employée sans papier harcelée par la femme du chef dépressive et jalouse. Pas d’adultère commis avec sa pharmacienne. On ne tombe pas non plus amoureux du patron du pressing d’en face. On ne cache pas sa grossesse à sa fille de quinze ans. Encore moins un sur temps ramassé et selon une logique de cause à effet. Sauf quand cela arrive. Mais que cela advienne ou non est (presque) secondaire, car à coup sûr d’autres détails, qui quant à eux ancrent parfaitement la fiction dans le réel, sont présents : les inévitables ratages, les punitions disproportionnées, les petites phrases blessantes, les mesquineries regrettables, et puis ces dialogues, tous ces dialogues, encore. C’est bien cette masse de détails venant tous azimuts qui permet à un film de devenir (presque) de la vie. Qu’il parvient du moins si justement à la faire résonner en lui.