Lundi 9 août
Un argument trouvé par les néolibéraux qui vaut son pesant d’or, pour contrer les tentatives de faire payer les entreprises pollueuses.
Principe de la symétrisation du remède et du mal : « Si la pollution a un coût (pour les pollués), les mesures antipollution en ont aussi un (pour les pollueurs). Avant de décider quoi faire, il faut mettre les deux dans la balance.
‘Si une entreprise déverse des polluants dans un cours d’eau, plaide Daniel Fischel, elle impose aux usagers des coûts qui peuvent excéder ses propres bénéfices. Il ne s’ensuit cependant pas que la pollution est un comportement immoral auquel il faudrait mettre fin. Considérons le cas réciproque où l’entreprise, par égard pour les usagers du fleuve, ne pollue pas et opte pour une méthode plus coûteuse d’élimination des déchets. Dans cette situation, les usagers de la rivière imposent aux investisseurs, aux employés et aux consommateurs de l’entreprise des coûts qui peuvent excéder leurs propres bénéfices. Ni polluer ni s’abstenir de polluer n’est a priori ‘éthiquement’ ou ‘moralement’ correct’. Un peu comme si, au prétexte que le fait de blesser quelqu’un et le fait de le soigner ont tous deux des coûts, on pouvait en conclure que les deux actes sont éthiquement indifférents. Je t’ai blessé et ça te coûte, mais te soigner me coûterait à mon tour, j’en conclus donc, vous dit l’économiste en tapotant sur sa calculatrice, que ni le fait de te nuire, ni le fait de réparer le préjudice que je t’ai fait subir n’est a priori ‘éthiquement’ ou ‘moralement’ correct ou incorrect.
Il serait faux, nous assurent ces économistes, de prétendre que c’est toujours aux responsables de payer. Ça dépend, car pénaliser l’auteur du dommage peut s’avérer moins profitable dans l’ensemble que de ne pas le faire. On est ainsi invité à juger les nuisances selon les coûts-bénéfices, où seule importe la considération de la valeur totale. Si celle-ci est ‘plus grande dans le cas où la partie lésée endosse les dommages’, alors, soutient-on, il est économiquement rationnel que les victimes prennent en charge les coûts que d’autres leur ont infligés. ‘Si nous supposons que l’effet nocif de la pollution est qu’elle tue les poissons, la question à trancher est la suivante : la valeur des poissons perdus est-elle supérieure ou inférieure à la valeur du produit que la contamination du cours d’eau rend possible ?’ Si les poissons morts valent moins que la production de l’usine chimique (ce qui est plus que probable), alors il est économiquement rationnel de les laisser crever. » (Carl Schmitt cité par Grégoire Chamayou dans La Société ingouvernable).
C’est intéressant de voir comment la motivation qui préside de manière tacite à l’action de toutes les entreprises qui polluent (les profits valent plus que la santé des hommes, que l’environnement, enfin que tout), est ici formulée et adaptée au discours des farouches défenseurs de l’économie néolibérale. Elle devient donc un argument à part entière. Reste à savoir si celui-ci peut valoir d’un point de vue juridique.