Jeudi 26 août
Tout juste commencé La théorie de l’information d’Aurélien Bellanger. De cet auteur je ne connais à peu près rien, je l’ai découvert dans une émission il y a quelques semaines, voilà tout. À le voir et l’entendre j’ai eu un sentiment d’étrangeté totale, et donc aussitôt suivi d’une grande curiosité. Impression également d’être face à un discours en partie fabriqué, un peu artificiel, mais pas inintéressant du tout. Je ne sais pas ce que ça donnera à l’écrit, je me procure rapidement son premier roman.
Et ça ne manque pas : à la lecture je retrouve la même sensation, cette même étrangeté difficilement expliquable car le texte est objectivement facile d’accès (on trouve des termes techniques mais peu de jargon pour l’instant), mené dans un rythme régulier, avec des phrases simples et une certaine énergie. Pas de doute, la langue roule. Alors pourquoi ce sentiment persistant d’aborder quelque chose qui m’est absolument éloigné, voire franchement allogène ? Je peine un peu.
Après quelques pages, j’arrive à m’y retrouver en rapprochant l’auteur de Tristan Garcia, qui imaginait dans Mémoires de la jungle comment parlerait un singe accédant au langage humain. Ce livre écrit en proto-langage, je l’avais lu sans difficulté. Les styles sont très différents mais peu importe en l’occurrence : pour mieux avancer dans ma lecture, dans un jeu un peu curieux mais utile, je prends le pli de convoquer régulièrement la représentation que je me suis faite de cette ancienne lecture encore vive dans ma mémoire.
Car dans les deux cas, il s’agit de créer une langue simple (encore une fois accessible), et qui pourtant, pour être crédible et juste, demande(rait) à se fonder sur des connaissances solides (linguistique diachronique pour l’un et savoir électro-technologique pour l’autre). Peut-être faut-il parler concernant ces auteurs d’effort de vulgarisation. Peut-être le font-ils sérieusement. Chez Bellanger en tout cas surgit par la voix du narrateur un mélange de technicité et de superficialité, de distance et de mise à plat de tous les éléments (description d’appareils et de technologies variés, principaux événements biographiques et autres péripéties, pensées des personnages avec une focale sur leurs motivations, sensations) tel qu’après plusieurs dizaines de pages, je ne sais toujours pas sur quel pied danser.
Me sentant manquer l’entrée dans le roman non à cause de l’histoire qu’il relate mais du point de vue qu’il explore, je reprends du début. Et puis je finis par trouver un indice, un prisme possible de lecture : « Cependant, Pascal découvrit que le vélux, laissé entrouvert avec son store baissé, transformait sa chambre en chambre noire : la forêt s’affichait, inversée, sur le mur opposé, tandis que le château d’eau flottait comme un bathyscaphe entre le ciel et les frondaisons des arbres. Pascal passait ainsi des heures à regarder le monde extérieur en vue périscopique. »
Regarder le monde extérieur en vue périscopique : voir en miniature le réel habituellement inaccessible au regard. Présenter des faits sous un angle nouveau et de façon concentrée, comme le fait le périscope d’un sous-marin. Précieuse clé à laquelle je m’accroche encore plus sûrement que je ne suis allée la chercher, elle s’avérera peut-être capable d’ouvrir non pas mon imagination mais ma compréhension du livre. Toute la page qui suit cette phrase de Bellanger, par exemple, voilà que je la trouve d’une très grande beauté. À suivre.
Correction du samedi 28 août : Non, Garcia ne fait pas un effort de vulgarisation mais de simplification, et il ne simplifie pas ses connaissances en linguistique mais il simplifie le langage. En imaginant un proto-langage, il va au plus simple de l’expression. Dans ce billet, ce que j’interroge aussi, c’est le besoin que j’ai eu, dans ma déroute, de rapprocher les deux auteurs. La démarche est différente, mais à la lecture il y a bien cette simplification du langage (langage en général chez Garcia, spécifique chez Bellanger) commune. C’est un fait, ce que produit l’un m’a aidée à saisir ce que produit l’autre.