Samedi 14 mai
Lui c’est un bon.
Sarga
Samedi 14 mai
Lui c’est un bon.
Samedi 14 mai
I would prefer not to.
Samedi 14 mai
Samedi 14 mai
Vendredi 13 mai
L’indigestion semblait signalée par, de temps à autre, un réflexe de mauvaise humeur, une grimace d’irritation qui lui faisait grincer des dents, de manière audible, en présence de fautes commises dans l’exercice de son métier, ou encore par des malédictions superflues proférées dans un sifflement plutôt que par des paroles, enfin et surtout par une insatisfaction perpétuelle avec la hauteur de la table sur laquelle il opérait. Bien que très ingénieux en matière de mécanique, Pinces Coupantes ne parvenait jamais à adapter cette table à ses besoins. Il mettait sous les pieds des éclats de bois, des cales de toute sorte, des morceaux de carton-pâte et finit par essayer un ajustement subtil en repliant dessous des bouts de papier buvard. Mais aucune invention ne pouvait le satisfaire. Si, pour soulager son dos, il soulevait la table jusqu’à lui faire former un angle aigu avec la pointe de son menton, et s’il y écrivait comme quelqu’un qui se serait servi du toit pentu d’une maison hollandaise pour se constituer un pupitre, alors il disait que cela arrêtait la circulation du sang dans ses bras. Si, par contre, il l’abaissait à hauteur de sa ceinture et se courbait pour travailler, alors il était saisi d’un douloureux mal de dos. Bref, le fond de l’affaire était que Pinces Coupantes ne savait pas ce qu’il voulait ou, s’il voulait quelque chose, c’était d’être une fois pour toutes débarrassé de la table d’un gratte-papier.
(Herman Melville, Bartleby)
Jeudi 12 mai
Lundi 9 mai
She knew she could repeat the note whenever she wished. Whenever she wished, now that she’d ones found it. There would be no variation […]
She might take back her lover, or never see him again : it would make no difference.
« It would make no difference », she repeated over and over again, weeping uncontrolable tears.
Elle savait qu’elle pourrait répéter la note quand elle le voudrait. Quand elle le voudrait, puisqu’elle l’avait trouvée. Il n’y aurait aucune variation […]
Elle pouvait reprendre son amant ou ne jamais le revoir : cela ne ferait aucune différence.
« Cela ne ferait aucune différence », se répétait-elle encore et encore, en versant des larmes irrépressibles.
Trop mignon.
Expérience de réception : retrouver un personnage, vingt ans après l’avoir regardé comme un objet d’identification. Réaliser qu’on l’appréhende désormais comme un enfant, un être en formation. La sensation, qui n’est pas autre chose que la mesure du temps passé, la conscience soudaine du chemin parcouru, est assez géniale.
Samedi 7 mai
J’écris « le cas » car je n’ai jamais su si j’aimais ou pas ce réalisateur, tant ses films m’ont toujours inspiré des sentiments contraires. À l’exception d’Esther Kahn cependant, qui m’avait bouleversée à sa sortie puis accompagnée pendant des années sans que j’y trouve le moindre défaut. J’adorais le personnage, la façon dont cette jeune femme allait, droit, sans protection, sans renoncer à rien, quitte à briser quelques verres sur son chemin ; le mélange de maladresse et de détermination qui l’animait. Cette femme était à mes yeux une invention magnifique et, je crois bien, un modèle à l’époque. M’avait beaucoup plu aussi le tableau de la vie de famille, juive et sans le sou, travaillant dur dans l’Angleterre de la fin du XIXème siècle. La misère et la promiscuité subies de ses membres étaient singulièrement palpables.
En revanche, pour les autres films de Desplechin, ceux que j’ai vus du moins, c’était une autre affaire. Je parle de la longue série de ceux qui se passent dans un milieu – toujours, mais pourquoi pas – bourgeois, parisien d’abord, de province ensuite ; plus exactement dans des familles bourgeoises de province (Rois et reine, Un conte de Noël), dont 1) la progéniture monte à Paris faire ses études ou entamer sa carrière (La Sentinelle, Comment je me suis disputé), et 2) l’un des rejetons, nommé le plus souvent Paul Dedalus et joué par Mathieu Amalric, fait office de vilain petit canard. Égoïste, torturé, du genre fou mais pas trop. Et surtout : fruit pourri de son éducation. Quelqu’un pour qui, pourrait-on croire en poussant un peu la logique, la vie aurait été plus simple s’il avait grandi dans une famille plus prolétaire et moins lettrée… D’où le contraste, saisissant, entre un personnage comme Esther Kahn, muette, quasi autiste, et Paul Dedalus.
Ces films-là sont plus compliqués à appréhender, mais aussi à juger et donc aimer et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ce sont des films-romans, fondés sur du discours, une voix de narrateur ou tout comme. Les dialogues y sont très écrits. Les péripéties sont celles de gens en proie à des angoisses existentielles. Ils font face à la maladie et à la mort, à des peines de coeur et des rivalités (sentimentales et/ou professionnelles). Alors c’est sûr, on nage là en plein art à la française : psychologisant et potentiellement bavard. Pour autant, il y a une très grande justesse dans nombre des scènes de Desplechin. Sans cette justesse, le ton érudit et souvent prétentieux, les personnages atrocement cabotins et les nœuds au cerveau qu’ils semblent se plaire à se faire seraient difficilement supportables. Par conséquent une question s’impose : en quoi consiste cette justesse ?
Comme toujours peut-être, dans un sens suraigu de la complexité. On ne trouvera pas une situation où ne soit exprimé par chacun des personnages un double sentiment. L’univocité dans ces films-ci est tout simplement absente. Au contraire, la dualité affective, constante. Elle pourra s’exprimer via ce même discours. On trouvera par exemples de classiques équivalents des « je t’aime, moi non plus » ou « famille je te haime » qui peuplent les oeuvres d’art. Mais ce n’est pas tout. Dans les conversations des divers protagonistes se mêlent en permanence et avec un délice non feint les registres grossier et soutenu, les remarques triviales et les citations d’écrivains. Chez Desplechin, tout cela va de soi : la vérité, semble-t-il nous dire, ne peut se révéler que dans l’accolement de deux modulations du langage. Mais la dualité (la « dualisation » serait plus juste) ne se contente pas du discours. Plus encore, elle s’exprimera par une contradiction entre ce qui est dit et ce qui est montré. Dans ce geste esthétique, et éminemment cinématographique – on sort ici du simple roman filmé -, le réalisateur excelle. Car c’est dans ce geste même qu’il pourra produire de la tension, du drame, de la relation. Et, par ricochet, l’émotion de son spectateur. Comprendre cela, c’est comme comprendre un truc (au sens de « trick »). C’est comprendre comment la magie opère.
Il faut le souligner : la prise de risque est grande à aller dans ces zones. Pas seulement dans ces zones de la psychologie humaine, mais dans ces zones artistiques. C’est donc la réceptrice heureuse, peut-être même reconnaissante au réalisateur qui écrit ici. Mais quand on y songe il est presque inévitable qu’un tel cinéma, entièrement fondé sur l’oxymore (1), tombe parfois à côté, ou mal. C’est que malgré sa capacité exceptionnelle à faire un cinéma réaliste, Desplechin ne veut pas faire un cinéma réaliste. Il veut faire plus (à ses yeux) que cela. Il veut faire quelque chose comme du cinéma qui fait de la vie qui devient du cinéma.
Je m’explique. Dans la vraie vie, on aime toujours le frère qu’on vient à engueuler. L’affirmer dans une oeuvre, c’est faire preuve de réalisme. Mais « dans la vie », on ne caressera pas la joue de son frère tout en lui hurlant dessus (geste pourtant récurrent dans Rois et reine). Cela, seul le cinéma, ou le théâtre le peut – Desplechin est très proche du théâtre, comme Esther K.
Dans la vie, il arrive d’embrasser de loin, par un souffle léger, l’adolescent difficile. Mais pas d’étouffer ce baiser en recouvrant sa bouche de sa main quand il est suicidaire (telle Élizabeth dans Un conte de Noël).
Un père peut aussi trouver sa fille mauvaise, gâtée, lui dire qu’elle a mal tourné. Mais il ne lui laissera pas une lettre posthume où il lui expliquera qu’il aurait préféré qu’elle meure à sa place (Louis dans Rois et reine). Pas plus que cette lettre, aussitôt cachée sous sa chemise par la fille déchue ne brûlera sa peau.
On le comprend, dans ces choix prédomine la recherche d’effets visuels (parfois accentués par un usage abusif de la caméra à l’épaule). Ainsi, dans la vie, une amoureuse invitée par son amant à Noël et peu sensible aux problématiques de sa belle-famille ne se mettra pas coup sur coup à pouffer, cynique, devant une bagarre entre deux de ses membres, et à embrasser avec la plus grande émotion un troisième au moment de partir (Faunia dans Un conte de Noël). Mais après tout, ce qui compte, c’est qu’on voie, et qu’on voie bien.
Tout ou presque est ainsi chez Desplechin : le vrai, le fort et le franc se retrouvent traduits, mis en images par un artifice revendiqué. On pourrait parler d’outrance. Quand c’est de cela qu’il s’agit, les scènes sont drôles – et de telles scènes sont fréquentes. Mais de l’outrance, l’artifice et la théâtralité sont les pendants plus graves. Plus sérieux. Et alors ce qu’on donne à voir me semble moins aimable. Je me souviens notamment de la dernière image de Comment je me suis disputé avant un générique à la musique sublime. Marianne Denicourt (Sylvia) y jouait aux échecs avec Amalric (Paul), assise par terre et nue… mais prenant soin de toujours se couvrir la poitrine de sa main. Cette image m’avait passablement agacée, tant elle est un mensonge volontaire, ostensible. Le geste est insensé. Par conséquent, tout en montrant à la fois la cohabitation, dans le couple, de l’intimité et d’une forme de pudeur, ce qui est en soi une vérité très belle, cette image parvient à produire du faux. Du faux en surplus. Elle se charge de quelque chose dont je ne parviens décidément pas à saisir l’intérêt.
On peut, je crois, aller plus loin. En réalité ce n’est pas Sylvia qui se cache ici à Paul, mais Marianne Denicourt jouant Sylvia qui se cache au spectateur. Les films de Desplechin ont en permanence conscience d’un public qui les observe. Et à cause de ce savoir qui ne se relâche jamais, ce sont moins les acteurs qui jouent la comédie que les personnages eux-mêmes, tels qu’ils sont incarnés. Voilà d’où vient cette réticence persistante chez moi, cette dualité de sentiments que Desplechin aime tant créer chez ses personnages que je le soupçonne de chercher à la provoquer aussi chez ceux qui regardent son cinéma. Machiavélique.
Notes :
(1) oxymore : nom masculin – figure de style consistant à accoler deux mots de sens contraires, ou en apparence incompatibles. Ex : dans Ferragus, Balzac dit de Paris qu’il est « le plus délicieux des monstres « .
Et en complément ce commentaire, plus ancien mais pas obsolète sur un passage de Comment je me suis disputé.
Vendredi 6 mai
Et que dire encore de ces vaches qui à force de ruminer leur herbe donnent des teintes jaunes au ciel ?
Jeudi 5 mai
1) Je bougeais en tous sens, sans toucher les tapis voisins. Levais les jambes alternativement. Ce n’était plus le rythme de la musique qui guidait les mouvements, mais mes genoux qui lui donnaient le tempo. Ils frappaient l’air chargé de vibrations sonores ; se fracassant sur moi elles s’éparpillaient de plus belle. Chacun de mes coups maintenait la cadence. Je ne devais pas flancher, ne pouvais me le permettre. La bonne marche du cours dépendait désormais de la puissance de mes rotules. Cependant, les brûlures dans les cuisses, le raclement dans la gorge et jusqu’au fond des poumons. La douleur aux poignets quand j’enquillais les pompes, les chevilles dures sous les sauts. Tout cela ne suffisait pas. Je m’épuisais en vain.
2) Je bougeais en tous sens, sans toucher les tapis voisins. Quand j’inspirais les vibrations sonores venues de toute la salle m’entraient dans l’œsophage. J’aspirais la musique. Puis je la recrachais. Plus lourde, plus brutale encore. Mais ce raclement de la gorge jusqu’au fond des poumons, les brûlures dans les cuisses. La douleur aux poignets quand j’enquillais les pompes, les chevilles dures sous les sauts. Tout cela ne suffisait pas. Je m’épuisais en vain.