Mardi 14 juin
L’expression du moment : « Je suis sous l’eau ». Je suis sous l’eau. Quelle blague.
On ne le dit pas assez mais Rimbaud a passé sa vie à s’ennuyer. Pendant toute son enfance. Sans doute très vite à Paris, lorsqu’il fréquentait l’avant-garde littéraire. Pendant son errance à Bruxelles. Au milieu même de son histoire avec Verlaine. Il faut imaginer Rimbaud mauvais, se disputant avec lui par désœuvrement. Le provoquant sans cesse par des actes cruels, juste parce qu’il désespérait de voir les heures s’étirer dans la sinistre chambre. N’en pouvait plus d’aller d’hôtel miteux en hôtel miteux. De regarder l’autre dans le blanc des yeux et de finir les bouteilles de tord-boyaux. Il avait fait le tour de la vie de bohème. Est parti pour l’Afrique : tuer le temps. Il a vendu des armes. Il a fait du commerce. Neg-otium : brisée, l’oisiveté.
Ça l’a bien occupé. Comme tout. Quelques mois. À quel point ? Au fil de ses transactions se sentait-il parfois sous l’eau ? On ne le saura pas. Le négoce l’a bien occupé mais n’a pas empêché l’ennui de poursuivre son travail. De lui ronger les os. De contaminer son sang. Rimbaud toute sa vie s’est plaint de l’ennui autant qu’il se l’est infligé tel un pénitent sa discipline. Il s’est ennuyé puis lorsqu’il s’est vu mourir, tout grignoté, il s’est dit Non. Pas déjà.
Malgré cette fin tragique, savoir que Rimbaud s’ennuyait me rassure. Je ne peux m’empêcher de penser qu’il avait raison. Raison de quoi, je l’ignore. Mais il éprouvait chaque jour comme il fallait attendre davantage que ce que la vie nous donne. Non pas la vie : sa médiocre organisation. La bonne intelligence. Il connaissait le vide qu’aucune interaction sociale, aucune occupation ne devrait tenter de combler, car il avait l’intuition – la pré-science – de son exacte inverse. Un jour (ou une nuit) l’avait peut-être goûtée : une extase, indicible.
« Mauvais sang », Une saison en enfer, 1873