Jeudi 8 avril 2021
Une image me revient souvent en tête : celle d’un homme muet et titubant au milieu d’une forêt enneigée. Je vois le personnage joué par Vincent Gallo dans Essential killing, Oh Dae-Soo à la toute fin d’Old boy. C’est presque un topos cinématographique, cette histoire d’homme réduit au silence dans un lieu où il n’y aurait, de toute façon, personne pour écouter ce qu’il aurait à dire. Il reste un homme privé (débarrassé ?) de son identité. Ce que montre ce paysage enneigé, c’est un homme pur, lavé de son passé. Un demi-homme, un homme-bête. Il n’a plus l’usage de la parole, il est condamné à tourner en rond. Il se perd, il est perdu.
À un moment ou un autre, la neige finit toujours par tomber dans mes textes. Je n’ai pas de mal à croire qu’à l’origine de cette petite obsession il y ait le fantasme de l’oubli du passé. Mais la neige agit aussi à l’inverse : elle ramène à l’enfance. Peut-être ai-je plus simplement été marquée, petite, par cette stupéfiante et insondable blancheur qui avait recouvert pendant la nuit le petit jardin familial à Pavillons-Sous-Bois. C’est indéniable, l’écriture est aussi mue par la volonté de retrouver des sensations. Elle est un shoot mémoriel.
« Ces sensations liées à la venue précoce de la nuit sur la ville hivernale, ou bien, peu après la rentrée des classes, vers la fin de l’automne, quand les devantures vétustes des boulangeries ou épiceries de quartier s’éclairent déjà plus tôt, tandis qu’il fait encore assez doux et qu’une petite pluie très fine parsème d’éclats brillants les rues au pavage inégal, entre les trottoirs couleur d’anthracite où se collent, musquées et luisantes, les dernières feuilles à demi décomposées des platanes, ces sensations très vives (bien que paisibles) de repos vespéral, de lampes accueillantes, de rumeur diffuse et comme lointaine, de soupe aux légumes, d’abat-jour au papier roussi, j’ai signalé que je voyais là une des raisons – sinon la principale – qui m’avaient poussé vers le roman. Je comprends très bien ce que signifie : se mettre à écrire à cause de la couleur jaune aperçue sur un vieux mur. » (Alain Robbe-Grillet, Le miroir qui revient)
Un commentaire sur “6 – réminiscences”