Mardi 13 avril
Pour que l’ensemble paraisse plus esthétique et naturel, il faudra prendre le temps de placer chaque élément de la composition avec la même rigueur. La naturalisation est un art de la patience. Concernant la mise à mort, cependant, les préférences divergent, et c’est heureux : chacun peut dans ce domaine exercer son libre-arbitre. Peu importe la technique adoptée parmi celles qui ont fait leur preuve, et l’expéreince montre que chacun trouve rapidement le modus operandi qui lui convient le mieux. Il faut cependant garder en tête que le papillon doit toujours être tué avant qu’il ne s’abîme. Sur ce point notre insistance n’est pas superflue, tout particulièrement quand l’insecte est destiné à être placé au sein d’une collection.
Si l’on craint de mal faire, on peut le placer dans le congélateur où on le sortira au bout d’une heure mort et intact. C’est un avantage non négligeable. Mais il faudra être ensuite très prudent : la décongélation est un moment où le corps est fragilisé. On peut aussi décider de l’endormir à l’éther acétique, voire au cyanure de potassium. Mais la technique la plus simple et permettant de faire pour ainsi dire d’une pierre deux coups est sans nul doute celle de la piqûre à l’ammoniaque directement dans le thorax.
Pour agir en toute sérénité, le thorax aura été transpercé sans à coup mais d’une main ferme, à l’aide d’une fine aiguille, dès qu’on aura sorti le papillon de son bocal. L’épingle doit être enfoncée aux trois quarts et à la verticale. En outre, si lors des étapes de l’étalage des ailes, le papillon pivote autour de l’épingle, on pourra sans problème ajouter une ou deux aiguilles supplémentaires pour le planter une bonne fois et l’immobiliser.
Mais là encore attention : avant de fixer définitivement le corps, il est indispensable de vérifier qu’il est correctement positionné, parfaitement placé dans la rainure de l’étaloir. Une erreur à ce niveau serait difficilement rattrapable. Combien de lépidoptéristes en herbe auront vu leurs premières tentatives ruinées en quelques secondes à cause d’un doigt mal posé, d’une pression mal maîtrisée sur une aile fragile ? L’expérience a prouvé que faire coïncider en tout premier lieu les lignes de l’abdomen et du support avant de déployer les ailes à l’aide de deux épingles est de loin le plus adéquat.
Nous n’insisterons jamais assez : aussitôt piqué, alors que les ailes ont définitivement cessé de bouger, le corps inerte perd vite de son allant et nécessite des doigts particulièrement experts. Plus encore que dans les minutes précédentes tout tremblement, toute hésitation sont à proscrire.
Comme les ailes (voir ci-dessous) et sans doute plus souvent encore, les deux antennes nécessiteront d’être repositionnées, toujours avec la plus grande douceur cela va sans dire, car elles se seront sans doute enroulées pendant les divers gestes qui précèdent, ainsi que par un réflexe animal caractéristique. Lorsque l’opération d’épinglage sera tout à fait terminée, il faudra les ouvrir avec amour, de préférence à l’aide d’une pince aux proportions parfaitement adaptées.
Auparavant, les deux paires d’ailes auront aussi été remontées, à commencer par les grandes, les ailes primaires, de façon à ce que leur contour interne forme un angle droit avec le corps. Aussitôt placées il est prudent de fixer alors les ailes primaires avec deux épingles, car celles-ci ne seront plus irriguées du fait de la mort de l’insecte. Or, les ailes desséchées se cassent avec une facilité déconcertante. Vous ne voulez pas voir vos efforts ainsi ruinés.
Rappelons-le : pendant cette manipulation hautement sensible il est préférable de ne pas toucher les ailes avec le bout des doigts pour éviter que des écailles colorées s’en décollent même si l’envie vous démange. Bas les pattes, l’animal s’en trouverait instantanément privé d’une grande part de sa superbe. Cette fois, c’est l’emploi de deux bandelettes, (une pour maintenir les ailes séparées, l’autre pour les écarter), plus souples que la pince, qui est fortement préconisé.
Lorsque le spécimen est bien en place sur l’étaloir, on inscrira dans la foulée la date de la capture et non de la mort du papillon, puisque cette seule notion ne saurait rendre compte de la somme de travail que demande aussi bien en amont qu’en aval la préparation, la fixation et l’exposition du corps. Par ailleurs, le temps de séchage de celui-ci variera quant à lui selon des éléments divers, par exemple sa taille et l’humidité de la pièce, quand la capture reste une donnée qui n’est pas à interroger.
Tous ces gestes, qui font pleinement partie du travail autant que du plaisir d’un collectionneur véritablement passionné, font de la mise à mort de l’animal, qui reste, au demeurant, difficile à dater précisément – après tout, qui s’est sérieusement penché sur la durée d’agonie du lépidoptère ? Soyons raisonnables. – un détail. Tout l’art de la naturalisation consiste à fixer la beauté du vivant et de ce point de vue, à empêcher le pourrissement inévitable sinon de l’animal, il est une négation, une annulation même de la mort. Voilà toute une philosophie !
Ainsi, seul le résultat visible sera pris en compte, à la fois la réussite des manipulations et l’harmonie de la composition obtenue. Car c’est toute l’ingratitude de l’art du lépidoptériste, n’est apprécié que ce qui apparaît. Son travail sourd et laborieux ne doit pas se voir ni même se deviner. Et l’exposition qu’il fait d’une vie animale riche, disciplinée, inaltérable enfin, doit sembler quasi « naturelle ». Sous nos yeux : un petit échantillon de perfection. Capté pour le bonheur des petits comme des grands.