245 – légumes

Lundi 5 septembre

« Ce que j’aime le plus dans mon travail, c’est de m’occuper des aliments quand ils sont encore entiers, quand quelque chose en eux proclame un lieu, une provenance, et ce rayon délicat de solitude dont tout être vivant a besoin pour pousser. Eau, terre, poumons. Les conditions du silence. Les aliments ont une peau et il faut des couteaux pour les préparer. »

[…]

« Le capitaine a une tête de joueur, patiente, intelligente. On l’appelle patrón. Sa peau fine et rouge sort du col de sa chemise comme une deuxième chemise qui se boutonne à ses traits minuscules : menton, bouche, moustache, nez, front, alignés l’un au dessus de l’autre, avec des yeux comme deux trois appuyant chaque ordre et chaque décision. »

Eva Baltasar, Boulder

232 – méditation

Mardi 28 juin

Note pour Trois cafés (?) : expliquer – raconter – en quoi l’enchaînement des exercices sportifs crée les conditions d’une méditation. Refuser ainsi l’idée qu’il y aurait une pratique noble de la méditation, noble parce que 1) ancestrale et 2) immobile, et disons « le reste », c’est à dire le sport.

Recommencer les mêmes exercices et créer une fatigue du corps par l’ennui produit un état singulier de flottement, d’absence à soi et/ou au monde. Un état alterné quoique parfaitement conscient. J’écris « par l’ennui » et non « dans » ni « avec », car c’est précisément l’ennui qui provoque l’altération : l’exercice physique est difficile et ennuyant (pénible, aux deux sens du terme). L’esprit ne veut pas poursuivre, il ne cesse de demander au corps de s’arrêter. Mais bientôt on (mais quoi dans ce on ?) réalise que c’est moins la difficulté physique que cet ennui qui domine. En réalité le corps a vite pris le rythme de l’effort, un rythme de croisière, il ne souffre pas autant que ce qu’il croit, et dans ce relatif confort, c’est bien l’idée de continuer indéfiniment, la conscience que ça pourrait durer encore longtemps, ces conneries de pompes, de course et de squats, qui prend le pas.

Alors seulement, si l’on est bien disposé. Si quelque chose en soi veut bien entendre aussi le plaisir né de la décharge automatique d’hormones et de la chaufferie des muscles. Alors l’esprit finit par se mettre en retrait. Comme en sourdine. Le refus rétrécit, l’esprit est recouvert par le corps. Étouffé. Et au milieu même du bruit à la fois affreux et entraînant (indispensable adjuvant) de la sono, un silence, une sorte de silence, une sorte de silence en soi peut s’installer. Ce qui se passe là et que j’essaie de décrire n’est pas autre chose que ce qu’un sportif, de son côté, appellera « travailler le mental ».

En quoi ce sportif-là diffère-t-il du bouddhiste zen qui, assis directement au sol avant le lever du jour, le dos tenu droit pendant des heures par sa seule volonté (et dans certains monastères, par quelques coups de bâton), l’esprit ankylosé par de rares et réguliers éclats de timbale dont le son se diffuse et résonne dans la salle, fait taire le flux de sa pensée ?

En rien, bien sûr, si ce n’est par l’esthétique qui le porte. Deux ou trois points encore doivent être élucidés : je dois poursuivre la réflexion mais surtout l’observation. Mais j’ai déjà un premier élément. En toute logique, c’est ainsi sur le mélange des régistres esthétiques – noble/ignoble, mystique/ trivial, paisible/affolé, sobre/fluo, intro/extraversion – qu’il me faudra jouer dans le texte pour faire saisir cette communauté de nature.

228 – peau de chagrin

Jeudi 23 juin

Suite à ma note sur l’ennui d’Arthur Rimbaud, on me suggère la lecture de L’épuisé de Deleuze, courte analyse de l’œuvre de Beckett. Je m’exécute. Comme parfois chez ce philosophe certains propos m’échappent. Comme souvent il amène la pensée à la question de l’image. Comme toujours je cueille avec ravissement les quelques fulgurances que je suis capable de saisir. Dont celle-ci :

un certain épuisement physiologique : un peu

que décomposition du moi.

(Gilles Deleuze, L’épuisé)

Molloy, Malone, Willie, Nagg et les autres, mais aussi bien sûr l’artiste, celui qui voulait attraper la poussière, aller de fond en comble voir ce qu’il y a en dessous, ne possèdent pas de peau de chagrin. Ils en sont l’incarnation encore balbutiante juste avant qu’elle ne se désintègre tout à fait. Chiffon mou s’agiter.

223 – ma joue sur l’oreiller

Mercredi 15 juin

Mais que c’est beau.

« Je ne sais pas depuis combien de temps je suis ici, j’ai dû le dire. Je sais seulement que j’étais déjà très vieux avant de m’y
trouver. Je me dis nonagénaire, mais je ne peux pas le prouver. Je ne suis peut-être que quinquagénaire, ou que quadragénaire. Il y a une éternité que je
n’en tiens plus le compte, de mes ans je veux dire.


Je sais l’année de ma naissance, je ne l’ai pas oubliée, mais je ne sais pas dans quelle année je suis parvenu. Mais je me crois ici depuis un bon moment. Car je sais bien ce que peuvent contre moi, à l’abri de ces murs, les diverses saisons. Cela
ne s’apprend pas en une année ou deux. Des journées entières m’ont semblé tenir entre deux cillements. Reste-t-il quelque chose à ajouter ? Quelques mots peut-être sur moi. Mon corps est ce qu’on appelle, peut-être à la légère, impotent. Il ne peut pour ainsi dire plus rien. Ça me manque parfois de ne plus pouvoir me traîner. Mais je suis peu enclin à la nostalgie. Mes bras, une fois en place, peuvent encore exercer de la force, mais j’ai du mal à les diriger. C’est peut-être le noyau rouge qui a pâli. Je tremble un peu, mais seulement un peu. La plainte du sommier fait partie de ma vie, je ne voudrais pas qu’elle s’arrête, je veux dire que je ne voudrais pas qu’elle s’atténue. C’est sur le dos, c’est-à-dire prosterné, non, renversé, que je suis le mieux, c’est ainsi que je suis le moins ossu. Je reste sur le dos, mais ma joue est sur l’oreiller. Je n’ai qu’à ouvrir les yeux pour que recommencent le ciel et la fumée des hommes. Je vois et entends fort mal. Le large n’est plus éclairé que par reflets, c’est sur moi que mes sens sont braqués. Muet, obscur et fade, je ne suis pas pour eux. Je suis loin des bruits de sang et de souffle, au secret. Je ne parlerai pas de mes souffrances. Enfoui au plus profond d’elles je ne sens rien. C’est là où je meurs, à l’insu de ma chair stupide. Ce qu’on voit, ce qui crie et s’agite, ce sont les restes. Ils s’ignorent. Quelque part dans cette confusion la pensée s’acharne, loin du compte elle aussi. Elle aussi me cherche, comme depuis toujours, là où je ne suis pas. Elle non plus ne sait pas se calmer. J’en ai assez. Qu’elle passe sur d’autres sa rage d’agonisante. Pendant ce temps je serai tranquille. »

Malone meurt, de Samuel Beckett

222 – otium

Mardi 14 juin

L’expression du moment : « Je suis sous l’eau ». Je suis sous l’eau. Quelle blague.

On ne le dit pas assez mais Rimbaud a passé sa vie à s’ennuyer. Pendant toute son enfance. Sans doute très vite à Paris, lorsqu’il fréquentait l’avant-garde littéraire. Pendant son errance à Bruxelles. Au milieu même de son histoire avec Verlaine. Il faut imaginer Rimbaud mauvais, se disputant avec lui par désœuvrement. Le provoquant sans cesse par des actes cruels, juste parce qu’il désespérait de voir les heures s’étirer dans la sinistre chambre. N’en pouvait plus d’aller d’hôtel miteux en hôtel miteux. De regarder l’autre dans le blanc des yeux et de finir les bouteilles de tord-boyaux. Il avait fait le tour de la vie de bohème. Est parti pour l’Afrique : tuer le temps. Il a vendu des armes. Il a fait du commerce. Neg-otium : brisée, l’oisiveté.

Ça l’a bien occupé. Comme tout. Quelques mois. À quel point ? Au fil de ses transactions se sentait-il parfois sous l’eau ? On ne le saura pas. Le négoce l’a bien occupé mais n’a pas empêché l’ennui de poursuivre son travail. De lui ronger les os. De contaminer son sang. Rimbaud toute sa vie s’est plaint de l’ennui autant qu’il se l’est infligé tel un pénitent sa discipline. Il s’est ennuyé puis lorsqu’il s’est vu mourir, tout grignoté, il s’est dit Non. Pas déjà.

Malgré cette fin tragique, savoir que Rimbaud s’ennuyait me rassure. Je ne peux m’empêcher de penser qu’il avait raison. Raison de quoi, je l’ignore. Mais il éprouvait chaque jour comme il fallait attendre davantage que ce que la vie nous donne. Non pas la vie : sa médiocre organisation. La bonne intelligence. Il connaissait le vide qu’aucune interaction sociale, aucune occupation ne devrait tenter de combler, car il avait l’intuition – la pré-science – de son exacte inverse. Un jour (ou une nuit) l’avait peut-être goûtée : une extase, indicible.

« Mauvais sang », Une saison en enfer, 1873

214 – du rasoir

Mercredi 1er juin

Sa sœur Nadège arrivait, elles déjeuneraient quelque part. J’étais le bienvenu. Acceptai l’invitation. Le week-end commençait, je n’avais rien à faire de particulier et je me sentais bien, bien avec Élo. Je pris donc à mon tour un café puis allai me préparer. J’entrai guilleret dans la salle de bains, fermai la porte et me douchai. Je prenais mon temps sous l’eau chaude, m’amusais des produits en en testant certains, tous si délicieux, si exotiquement féminins. Shampoing à l’huile d’argan. Gel douche spécial peaux sèches à l’extrait de rose bio d’Équateur. Gommage aux noyaux d’abricot. Gant de crin biface, comme mes éponges. Après-shampoing restructurant tilleul-hibiscus. C’était un festival de parfums. L’un chassait l’autre. Une fois seulement que j’arrêtai l’arrivée d’eau et attrapai une serviette, des voix étrangement proches parvinrent à mes oreilles humides. Je remarquai en effet que le son arrivant d’une autre pièce, probablement de la cuisine, probablement par les bouches d’aération, ressortait dans la salle de bains : comme si on y était. Aussi clairement, aussi fort. Élodie faisait la vaisselle de la veille et mettait de l’ordre sur le plan de travail. Tasses et cuillers tintaient. L’eau de l’évier coulait par à-coups et allait circulant dans les tuyaux. Je commençai à me raser. Me retins de chanter. J’avais acheté tout le matériel nécessaire quelques semaines auparavant et laissé bien en vue sur l’étagère au-dessus du lavabo, avec ma brosse à dents. Non sans plaisir, sans prévenir Élodie mais le tout disposé comme pour faire une surprise ou bien plutôt un test. Plus tard à la découverte du matériel deux émoticônes m’avaient été envoyés. Je les avais reçus dans le tramway pour le bureau. L’un tendre, l’autre moqueur. L’idée que j’étais en train de m’installer chez elle tel un coucou me réjouissait. Mais au milieu de ces pensées soudain je fus troublé : juste à côté avait lieu quelque chose d’anormal. La conversation semblait se raidir. Je tendis l’oreille à nouveau tout en passant le rasoir sur ma joue. Et alors que j’essayais de comprendre de quoi parlaient les deux femmes, constatai que chaque tapotement sur le lavabo, chaque tintement de la faïence contre l’évier, chaque écoulement aussi bref fût-il de l’eau tant pour rincer la vaisselle là-bas qu’ici pour nettoyer la lame était un obstacle à ma compréhension. Je jubilais du concours de circonstances – moi, seul dans une salle dont la VMC faisait caisse de résonance des sons produits depuis une pièce voisine – qui me permettaient d’entendre une conversation intime ; et tout autant pestais de ne pas être en mesure d’en saisir chaque mot. Les voix étaient dures à distinguer. Je rageais plus encore d’être en grande part responsable par mes propres gestes de la perte acoustique. Responsable et victime. Pire, maintenant que j’avais commencé à émettre les bruits réguliers de mes soins d’hygiène, je craignais que m’arrêter soudain n’attire l’attention. Après tout, rien n’interdisait que je les entende aussi bien qu’elles moi. L’histoire ne le disait pas. C’était à envisager. Si je voulais continuer à jouir de ma position d’auditeur interdit, je ne devais éveiller nul soupçon en cherchant à me faire oublier. Par conséquent, dans l’éventualité où je serais entendu, le plus difficile pour moi devenait désormais de ne pas surjouer le rituel de la toilette. Il fallait faire du bruit mais ni trop, ni trop peu, ni trop régulier, ni par trop chaotique, étouffé ou ostentatoire. Feindre le naturel, par pure précaution. Cependant je me disais à la fois que si Élodie et Nadège m’avaient entendu distinctement de là où elles se tenaient, d’elles-mêmes elles auraient évité de se disputer. Pour revenir au calme auraient changé de sujet. Or c’étaient bel et bien les signes d’une dispute que je percevais à présent. Pour en savoir plus je me concentrai pour bouger et produire quelques sons juste entre deux phrases. Dès que je sentais venir une pause ou une hésitation, un changement de locutrice : tchac. Tout en prenant aussi soin de temps en temps de me racler la gorge ou me rincer les dents au beau milieu d’un mot. À ce moment précis, je remarquai qu’Élodie, enfin ce que je pensais être elle interrompait Nadège de plus en plus souvent. Elle semblait mener l’assaut. Si bien que ses prises de parole me prenaient au dépourvu à un rythme croissant. Je tentais de faire du bruit quand l’une parlait mais les sons sortaient quand l’autre prenait la parole. Et inversement. Ou alternativement. De même, alors que je guettais toujours dans leur voix une courte halte, mon tapotement, frottement et mon reniflement tombaient invariablement au milieu d’une proposition. Dans ces conditions je ne parvenais que trop rarement à émettre de manière efficace. Captais pour finir assez peu de phrases entières et encore moins d’échanges significatifs entre les sœurs. Dans le désordre sonore et vibratoire issu de l’irritation que je sentais monter en elles comme de mes propres mouvements, devenus gauches, voire incongrus et manquant leur effet, je ne laissais pas de m’étonner. Cela ne lui ressemblait pas. Élodie était vive mais jamais impatiente. Et brutale sûrement pas. Énergique certes mais toujours respectueuse de l’opinion d’autrui. Ici pourtant, son ton n’avait rien d’équivoque : il était d’une aridité que je ne lui connaissais pas. Était-elle bien elle ? Était-elle celle que je croyais entendre parler ? Mon étonnement, par ailleurs, ne faisait que croître avec le contraste des deux tonalités. Tandis que sa soeur mordait la voix de Nadège se faisait plus plaintive. Tendance geignarde. Elle ne pleurait pas mais comme mimait les pleurs. Et pour ajouter du crédit à son attitude, le mot triste revenait tout le temps dans sa bouche. Toutefois, hormis ces quelques éléments plutôt explicites finalement je n’étais sûr de rien. Pour couronner le tout, je me retrouvai tellement concentré sur le rythme des phrases dans l’espoir d’y glisser un gage crédible de mes occupations que je manquai le sens de plusieurs. Bien que complètes et parfaitement audibles. Je finis par perdre patience. Puis je me résignai. Je n’entendrais pas tout ce que je voulais entendre. Entendrais peut-être ce que je ne voulais pas. Sortis de la salle de bains. Un peu moins gai, rasé de frais.

205 – match

Mardi 17 mai

Une question qui se pose à la linguistique est de déterminer si le langage vient après l’idée, plus exactement s’il naît d’une intuition, un déjà là en attente et qui ne demande en quelque sorte qu’à être formalisé ; ou bien si c’est dans le langage, dans son avènement même que se forment les idées : selon cette thèse, il n’existe pas d’idée en dehors du langage, et l’idée n’est pas autre chose que sa formulation.

On s’en doute : les idéalistes pencheront vers l’option n°1, les matérialistes vers l’option n°2.

Aujourd’hui j’ai été amenée à faire une petite expérience. Je veux absolument reprendre le procédé de la double conversation, réelle et imaginaire (il a dit, il n’a pas dit, il aurait pu dire mais il a préféré répondre, etc) qui se trouve dans La contrevie et dont j’ai photographié un extrait.

Je commence à travailler sur un chapitre de mon roman qui s’y prête. Assez vite des choses intéressantes surgissent, encore très proches de leur modèle. C’est bien mais rah ! ça ne va pas. Il faut aller plus loin. Il faut que les deux conversations – celle qui a lieu dans l’histoire et celle rêvée par le narrateur – se percutent. Qu’elles se mêlent, juste ce qu’il faut. La difficulté apparaît en ce point exact : à chaque changement d’interlocuteur, à peine aura-t-on l’impression de perdre pied qu’on devra retomber aussitôt dessus, et inversement.

Comme dans l’adage, c’est en faisant que je commence à saisir ce que je cherche. Tout le jeu tiendra dans le rythme. C’est comme si je devais faire rebondir une balle aux quatre coins d’un terrain. La maintenir coûte que coûte en mouvement. Tel est ici l’enjeu : produire de la parole comme jaillit la vitesse dans un match de tennis, tous azimuts. Un match en double, même ; un match contrasté, traçant deux diagonales opposées : ici les deux énervés de service (au hasard… MC Enroe, Connors) et là, deux gentlemen (Djokovic, Federer).

J’avance avec cette idée de départ. Essaie plusieurs phrases de dialogue, reviens en arrière. Je modifie, puis l’un dans l’autre poursuis. À tâtons. Rien de plus banal finalement. On pourrait résumer les choses ainsi : j’écris à partir d’une idée. Mais plutôt que de parler d’idée, il serait sans doute plus juste de parler d’envie. Car c’est bien plus brut qu’une simple idée ; tout différent d’une supposition, d’un raisonnement. Il y a bien une logique pour expliquer cette tentative de rédaction. Je suis capable de fournir quelques arguments à mon choix narratif. Pour autant, le point de départ, ce qui motive et précipite la mise au travail n’est rien d’autre qu’une boule au ventre. C’est une bête démangeaison qui ne s’apaise que dans le passage à l’acte. J’écris parce que j’ai envie de chercher des mots. Je cherche mes mots, les bons mots, ceux qui justement matchent bien ensemble pour signifier une situation. Mais cette situation ne préexiste pas. C’est au fil de ce que les mots produisent qu’elle se précisera.

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Retournons au début. Car cette boule. Cette force informe et massive, recroquevillée, cherchant à se déployer ; ce chemin qui va de l’impulsion à l’écriture (ou au geste chorégraphique, au coup de pinceau, à la note de musique), en quoi seraient-ils différents de ce qui va du mot à la bouche ? Comment ne pas croire que cet élan, et peut-être plus encore quand la matière à travailler est la langue, ne retrace pas dans chaque signe, dans chaque syllabe, dans chaque phrase de chaque récit le parcours qui va de l’intuition à la formulation ? Il est à envisager sérieusement que l’écriture refasse inlassablement l’histoire ralentie du langage.

Pour être sûre je refais le match une dernière fois : d’abord un bouillonnement, l’intuition d’une nécessité, aussi vague qu’elle est puissante, puis

les essais,

les ratures,

les ajouts, les centaines de modifications faites dans le corps du texte (autant de forces venant, tous azimuts, percuter l’intuition de départ pour en changer la trajectoire)

jusqu’au résultat final : la chair refroidie. Morceau après morceau. On y est. Le sens s’est trouvé à mesure que s’est figée la forme.